ASSEMBLÉE NATIONALE

Petit lexique des mots maudits

Consécration inattendue pour Ding et Dong : le duo a fait son entrée dans le dictionnaire des mots maudits à l’Assemblée nationale cette année. C’est l’une des six nouveautés qui figurent au lexique des « propos non parlementaires », une liste des expressions interdites en Chambre. Et cette liste, est bonne est bonne, est effrayante !

« DING ET DONG »

(13 NOVEMBRE 2014)

Jean-François Lisée faisait une sortie contre l’idée – finalement abandonnée – de retirer le nom de Champlain pour le nouveau pont qui reliera Montréal à la Rive-Sud. Il a condamné la gestion du dossier par les ministres québécois et fédéral Robert Poëti et Denis Lebel. « Ces dernières semaines, on a assisté à ce que j’appellerais les Dupond et Dupont du pont Champlain », a-t-il lancé en Chambre.

Le vice-président de l’Assemblée nationale, François Ouimet, l’a rappelé à l’ordre : « Il ne faut pas avoir des propos blessants. » Et du reste, Dupond et Dupont sont dans le lexique des propos non parlementaires depuis 2013 ! M. Lisée a donc changé d’image : « Nous avons assisté un peu à un spectacle des Ding et Dong du pont Champlain. » M. Ouimet ne l’a pas trouvé drôle. « Je fais appel à votre gentilhommerie habituelle et votre courtoisie que nous vous connaissons : prudence avec les mots », a-t-il dit. M. Lisée s’est amendé avec un petit clin d’œil de circonstance : « Je les retire parce que j’admets : elle est effrayante ! »

« DÉBILE »

(28 NOVEMBRE 2014)

La ministre de la Famille, Francine Charbonneau, a soulevé la controverse avec son projet de loi prévoyant une amende de 3600 $ aux parents qui contribuent au phénomène des « places fantômes » dans les garderies. « C’est complètement débile ! », a lancé le chef intérimaire du Parti québécois, Stéphane Bédard. Débile ? « Je comprends ce que vous voulez dire, lui a répondu le président Jacques Chagnon, mais retirez vos propos. » « Alors c’est complètement fou ! », a dit M. Bédard. Fou ? « Ce n’est pas mieux, ça », a répondu M. Chagnon. « Ça n’a aucun sens. On s’entend là-dessus ? » Cette fois, c’était la bonne. Et ça n’avait effectivement aucun sens : la ministre a reculé sur cette sanction…

« LUCKY LUKE DE TWITTER »

(20 NOVEMBRE 2014)

Le ministre de la Santé Gaétan Barrette a profité d’une question de la députée péquiste Diane Lamarre pour envoyer une pointe à Pierre Karl Péladeau… qu’il voit déjà à la tête du PQ. « Le futur chef du parti a dit publiquement qu’il était en faveur du privé [en santé], et il n’a pas l’intention, manifestement, de se rétracter parce qu’il est le Lucky Luke du Twitter… » Il n’a pas eu le temps de terminer sa phrase. Le président Jacques Chagnon tire plus vite que son ombre, c’est bien connu. « Je vais faire mon propre Lucky Luke ici, a-t-il dit. La dernière intervention, peut-être que quelques-uns l’ont trouvée drôle, mais elle était certainement inappropriée ici. Je vous demanderais de la retirer. » M. Barrette s’est exécuté, précisant que si M. Péladeau n’était pas revenu sur sa déclaration sur Twitter, c’est qu’il avait exprimé le fond de sa pensée.

« CONFLIT D’INTÉRÊTS »

(8 OCTOBRE 2014)

Pierre Karl Péladeau doit choisir entre son siège de député et son actionnariat de contrôle chez Québecor, selon la Coalition avenir Québec. Dans un débat enflammé, François Bonnardel a soutenu que le député péquiste est présentement « en conflit d’intérêts ». La leader parlementaire du PQ, Agnès Maltais, n’a pas apprécié. « Il vient de dire qu’un député est en conflit d’intérêts, alors qu’il ne l’est pas, et c’est une évidence », a-t-elle dit. Le vice-président de l’Assemblée nationale, François Ouimet, a demandé à M. Bonnardel de retirer ses propos. « On ne peut pas attaquer la conduite d’un député », a-t-il expliqué. On a vu ça souvent au Salon bleu pourtant…

« VISAGE À DEUX FACES »

(25 NOVEMBRE 2014)

L’opposition manquait de mots pour condamner le gouvernement, qui a renié sa promesse électorale avec la hausse du tarif des garderies. Le chef caquiste François Legault en a trouvé un qui n’a pas passé le test du décorum… « Est-ce que le premier ministre comprend que le courage, c’est aussi de dire la vérité pendant la campagne électorale ? Est-ce que le premier ministre comprend que sa parole n’a plus beaucoup de valeur ? Est-ce que le premier ministre comprend que les Québécois n’aiment pas les visages à deux faces ? », a-t-il lancé. Le président Jacques Chagnon a trouvé qu’il poussait le bouchon trop loin avec sa dernière expression.

« SERVILITÉ »

(25 SEPTEMBRE 2014)

Le dossier de l’oléoduc Énergie Est a donné du fil à retordre au ministre de l’Environnement, David Heurtel. Un jugement de la Cour supérieure a même critiqué sa gestion du dossier. Le député de Québec solidaire, Amir Khadir, a accusé le ministre d’avoir « agi avec une telle servilité devant TransCanada qu’il est complètement discrédité ». Le président Jacques Chagnon n’était pas d’humeur à rigoler cette journée-là : « Je pensais que j’avais été clair. Je pensais que l’imputation d’un motif ne devait pas se faire. Je vous demande de retirer vos propos. » M. Khadir s’est amendé. Mais comme souvent, il a refusé d’en rester là : « Je retire mes propos, mais je crois que la juge a bien évalué la situation pour le ministre. Il est complètement discrédité. Les sables bitumineux, c’est 5 milliards d’investissement pour un ami important et influent du Parti libéral, la famille Desmarais, Power Corporation. » « Poser une question à l’Assemblée, ça ne se résume pas à faire un acte de salissage sur tout ce qu’on pense, tout ce qu’on voit, tout ce qu’on peut imaginer, a répliqué Jacques Chagnon. Je vous demande de le faire en respectant notre règlement. »

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C’est le nombre de mots ou d’expressions qui figurent au lexique des propos non parlementaires. Des paroles qui ont déjà été prononcées, mais qui ne peuvent plus l’être.

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